« Quel
est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement
nos sens et notre conscience, si nous
pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec
nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que
nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors
continuellement à l’unisson de la nature. Nos yeux, aidés de
notre mémoire, découperaient dans l’espace et fixeraient dans le
temps des tableaux inimitables. Notre regard saisirait au passage,
sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de
statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. Nous entendrions
chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois gaie,
plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue
de notre vie intérieure. (…) Mais de loin en loin, par
distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie.
Je ne parle pas de ce détachement voulu, raisonné, systématique,
qui est œuvre de réflexion et de philosophie. Je parle d’un
détachement naturel, inné à la structure du sens ou de la
conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière
virginale, en quelque sorte, de voir, d’entendre ou de penser. (…)
Celui-là s’attachera aux couleurs et aux formes, et comme il aime
la couleur pour la couleur, la forme pour la forme, comme il les
perçoit pour elles et non pour lui, c’est la vie intérieure des
choses qu’il verra transparaître à travers leurs formes et leurs
couleurs. Il la fera entrer peu à peu dans notre perception d’abord
déconcertée. Pour un moment au moins, il nous détachera des
préjugés de forme et de couleur qui s’interposaient entre notre
œil et la réalité. Et il réalisera ainsi la plus haute ambition
de l’art, qui est ici de nous révéler la nature. (…) D’autres
creuseront plus profondément encore. Sous ces joies et ces
tristesses qui peuvent à la rigueur se traduire en paroles, ils
saisiront quelque chose qui n’a plus rien de commun avec la parole,
certains rythmes de vie et de respiration qui sont plus intérieurs à
l’homme que ses sentiments les plus intérieurs, étant la loi
vivante, variable avec chaque personne, de sa dépression et de son
exaltation, de ses regrets et de ses espérances. En dégageant, en
accentuant cette musique, ils l’imposeront à notre attention ; ils
feront que nous nous y insérerons involontairement nous-mêmes,
comme des passants qui entrent dans une danse. Et par là ils nous
amèneront à ébranler aussi, tout au fond de nous, quelque chose
qui attendait le moment de vibrer. — Ainsi, qu’il soit peinture,
sculpture, poésie ou musique, l’art n’a d’autre objet que
d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités
conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous
masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité
même. »
Henri
Bergson, Le rire.
« Ce que suscite
en nous, du moins chez certains d'entre nous, la musique, est certes
une émotion, mais une émotion toujours située dans le registre,
avec un effet de plus ou de moins, d'intensité de joie ou de moindre
intensité de joie ou de plaisir. Mais qui n'a rien à voir avec des
spécialisations de cette joie dans des objets particuliers. Je pense
aux mots de Spinoza : « L'Amour est la Joie accompagnée de
l'idée d'une cause extérieure ». Eh bien la musique est la
joie non-accompagnée de l'idée d'une cause extérieure. Ceci est
amplement suffisant. En effet, quand vous êtes au paradis, pourquoi
s'intéresser à autre chose ? (…) Mozart, c'est la Joie même. Il
n'a jamais exprimé rien d'autre, même dans les morceaux qu'on troue
très sérieux, un peu graves, etc. (…) Mozart incarne le miracle
de la vie, le bonheur, la joie, la jubilation, l'allégresse. (…)
Ce qui est plaisant, et même, ce qui est miraculeux dans la joie
mozartienne c'est qu'elle côtoie toujours le néant et le désespoir.
Elle est malgré tout et quand même
mais sans le coté volontariste de la musique de Beethoven. Les
œuvres de Mozart et de Beethoven représentent d'ailleurs deux
univers opposés, antithétiques même. La nature de l'émotion
joyeuse chez Mozart, c'est le gamin qui sifflote alors qu'il a tout
perdu. Tandis que chez Beethoven, on assume de manière beaucoup plus
difficultueuse me semble-t-il. »
Clément
Rosset
« Chaque membre de
l'orchestre est un individu et pourtant l'orchestre forme une unité.
Peut-être ne peut-on comparer cela qu'au vol des oiseaux. J'ai
toujours été fasciné de voir comment 300 oiseaux peuvent être
dirigés par une volonté commune. De toute évidence, ils sont
dépourvus de leader et pourtant leurs mouvements sont parfaitement
coordonnés et exquisément beaux. »
Herbert
von Karajan
A lire également :
- "Mozart, la joie, le tragique" (2006) un très bel article de
"Musique et mélancolie" sur le blog du Lorgnon Mélancolique.
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Mozart m'a beaucoup aidé pour comprendre la thermodynamique quand j'étais étudiant. Une écoute qui stimule l'esprit.
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