C'est
avec un étonnement teinté de joie que j'avais grignoté le Manuel
de survie en territoire zombie
(2009) de Max Brooks. Depuis, j'ai constamment tourné autours de
World War Z
sans jamais m'y plonger. Lorsque j'ai entamé une série de lectures
« post-apocalyptiques » (que je n'ai d'ailleurs pas
encore achevé tant le plaisir est grand à se faire peur),
l'occasion s'est présentée de franchir le pas qui me séparait de
ce livre dont la plupart de mes amis m'avaient fait l'éloge.
La
singularité de la forme des œuvres que Brooks consacre au thème de
l'épidémie zombie, j'ai d'abord eu envie d'en savoir un peu plus
sur l'auteur. Max Brooks est le fils du grand Mel Brooks (ce
qui n'est pas rien pour le fan de Frankestein junior que je suis).
Autant dire que le capital de folie géniale doit donc être
important chez ce monsieur. D'ailleurs, on peut trouver un indice de son génie lorsqu'on constate que c'est un véritable touche à tout qui a
aussi bien fait partie de l'équipe créative de l'émission comique
américaine Saturday Night Live que prêté sa voix à des
personnages de dessins animés (Batman, Justice League, etc). On a
donc affaire à un personnage atypique.
On
en reçoit l'agréable confirmation lorsqu'on entre dans World War Z.
La situation est très simple : une épidémie qui a transformé la
majeure partie de l'humanité en morts-vivants a bien failli rayer
par la même occasion notre gentille espèce de la surface du globe. Néanmoins, après une
guerre atroce, les survivants reprennent plus ou moins le dessus sur
le phénomène zombie et s'efforce de rebâtir le monde. Jusque-là
rien de bien palpitant diront certains. Détrompez-vous bande de
vilains sceptiques ! Ce qui fait la force de ce bouquin, c'est moins
les évènements qui y sont contés que la forme du
récit. Car en vérité, on a très vite le sentiment d'assister à
la projection d'un documentaire. Brooks se cache en effet derrière
la figure d'un journaliste mandaté par l'ONU qui profite de sa
mission pour sauvegarder les témoignages de toutes sortes de
survivants. Des voix s'élèvent et proposent donc leurs propres
variantes de l'universel « comment je ferais si j'y étais ? »
ou du plus général « que puis-je faire ? ».
Les
interviews sont présentées au long de six grands mouvements qui
représentent chacune des étapes par lesquelles passe l'espèce
humaine dans ses rapport avec sa partie contaminée par le virus dont
on ne saura à peu près rien si ce n'est que des gens meurent, que
la plupart d'entre eux se relèvent avec pour projet de faire
bombance de la chair des vivants.
D'abord,
on apprend comment l'épidémie se répand joyeusement grâce aux
merveilles de la mondialisation. Le réseau de transport mondial est
une bénédiction pour la dispersion des contaminés, de même que
les réseaux d'immigration clandestine et la capacité du virus à se
montrer nomade ferait certainement frémir d'admiration un apologiste
du mouvement perpétuel et du déracinement tel que Jacques Attali.
Paradoxalement,
si les structures de la mondialisation facilitent la diffusion de
l'épidémie, elles paralysent complètement les facultés de
réaction des gouvernements qui, en dépit des alertes et de quelques
tentatives de passage à l'action, décident d'ignorer ce qui se
passe. Évidemment, il se trouve au milieu de tout ce capharnaüm des
spécimens particulièrement malins d'homo economicus pour répondre
aux stimulations de leurs intérêts bien compris et pour surfer sur les
angoisses naissantes de la population. Étouffés par des tendances
hygiénistes virant au pathologique, désorientés par la désinformation
et rongés par la malédiction de l'habitude, les gens ordinaires se
font finalement surprendre par l'horreur de l'épidémie lorsque ce
bon vieux principe de réalité se rappelle à eux.
Dès
lors, c'est la Grande Panique. Toutes les constructions
civilisationnelles fondent comme neige au soleil et c'est le retour
express à une situation pré-sociale où chacun s'efforce de lutter
pour sa survie en fuyant vers ce qu'il s'imagine être le plus loin
possible de la nouvelle plaie qui s'abat sur le monde. Les États
tentent tant bien que mal de persévérer dans leur être même si
cela les contraint à adopter des pratiques néo-totalitaires.
Les stratégies habituelles sont inopérantes face à un ennemis qui
n'éprouve aucun sentiment et dont les légions sont issues de ceux
qui meurent au combat. Seuls les esprits les plus pragmatiques et les
plus froids sont en mesure de concevoir les solutions nécessaires à
la sauvegarde de l'humanité. Néanmoins, les sacrifices que cela
supposent ne sont pas du goût de ceux qui veulent « rester
humains ». Ces mêmes humanistes, en refusant de mettre en
pratique les plans de ceux qui ont su faire usage de leur raison,
sont inéluctablement conduits à se comporter de la pire des manière
vis-à-vis des populations civile (frappes préventives sur les
réfugiés, tout ça...).
Revenu
des joies du libéralisme économique qui se révèle complètement
obsolète en situation de crise globale, les gouvernements adoptent
rapidement des organisations de type collectiviste. Naturellement, les
relations de pouvoirs sont bouleversées et la géopolitique mondiale
s'en trouve radicalement modifiée. L'énergie redevient une question
primordiale car qui en dispose possède aussi un pouvoir considérable
(ou, lorsqu'il s'agit d'intérêts particuliers, d'une des ressources
les plus demandées et par conséquent d'une richesse presque
illimitée). Tout ceci modifie radicalement le mode de vie de la
population survivante et la répartition du travail. Ce changement
n'est pas du goût de tous et certains craquent nerveusement sous la
pression. Apparaissent donc les créatures étranges que les
survivants appellent les quislings (je laisse à ceux qui n'ont pas
encore lu le livre le plaisir de découvrir de quoi il s'agit exactement). Tout
ceci s'accompagne de productions cinématographiques aptes à
mobiliser le corps social de manière adéquate à la nouvelle
situation et, surtout, de limiter les effets psychologiques pervers
de la crise. De quoi penser autrement ce que l'on appelle aujourd'hui
l'industrie cinématographique.
Face
à la menace, les êtres humains sont forcés d'adopter de nouveaux
« devenir ». Par exemple, il leur faut découvrir de
nouvelle manière d'habiter des lieux inhabituels (tâche à laquelle
certains s'essaieront avec succès dans le cas des châteaux forts et
où d'autres échoueront dans le cas des souterrains parisiens). Même
le langage connait de nouveaux usages. D'autre part, l'imagination
s'avère être autant une source de force qu'une grave faiblesse
puisque c'est elle qui sécrète l'espoir et qui donne donc la force
de survivre, mais c'est elle aussi qui pousse à risquer le pire en
vue d'un salut incertain. L'aventure sur les mers illustre ce double aspect de
l'imagination humaine. Les survivants croient y trouver le salut et y
découvre des dangers pires que les horreurs qui les poursuivaient à
terre. Néanmoins, c'est aussi l'espoir tenace de retrouver sa
suprématie déterminera l'humanité à entreprendre une Reconquista.
Ah, l'espoir.
Au
final, on peut dire que le roman s'avère décoiffant non seulement
par rapport à la profondeur des problèmes qu'il propose à ses
lecteurs d'aborder, mais aussi (et surtout) grâce à la forme inédite
adoptée par Brooks pour développer son récit. L'immersion est presque
totale et les questionnements qui naissent au fur et à mesure de la
lecture n'en sont que plus intéressants puisqu'ils arrivent à
toucher des thèmes au fond très actuels. Autre qualité : l'auteur
ne se perd pas dans le récit gnangnan d'insignifiantes trajectoires
individuelles ni dans un misérabilisme pourtant à la mode ces derniers temps. Au contraire, il propose un point de vue global et sans
concession. Pour dire à quel point Brooks s'efforce de garder de la
hauteur on ne peut que songer à ce passage consacré à la situation
des astronautes restés en orbite le temps que de l'épidémie. World
War Z est donc une œuvre majeure aux multiples facettes et c'est
l'occasion de se pencher sur des problèmes d'une actualité plus
que troublante.
Max Brooks, World War Z, Calmann-Lévy, 2009.
Ils en parlent aussi chez eux : Gromovar, Hugin et Munin, Efelle
Max Brooks, World War Z, Calmann-Lévy, 2009.
Ils en parlent aussi chez eux : Gromovar, Hugin et Munin, Efelle