« Tout antagonisme
religieux, moral, économique, ethnique ou autre se transforme en
antagonisme politique dès lors qu'il est assez fort pour provoquer
un regroupement effectif des hommes en amis et ennemis. Le politique
n'est pas donné dans la lutte elle-même, qui a ses propres lois
techniques, psychologiques et militaires ; il consiste, ainsi qu'il a
été dit, dans un comportement commandé par l'éventualité
effective de celle-ci, dans le clair discernement de la situation
propre qu'elle détermine et dans la tâche de distinguer
correctement l'ami et l'ennemi. Une communauté religieuse qui en
tant que telle fait la guerre, que ce soit contre les membres
d'autres communautés religieuses ou que ce soit quelque autre
guerre, transcende sa nature de communauté religieuse et constitue
une unité politique. Elle est encore un facteur politique alors que
ses possibilités d'agir sur ce processus décisif sont purement
négatives, quand elle est en mesure d'empêcher des guerres par une
interdiction faite à ses membres, c'est-à-dire d'imposer la
décision par laquelle elle dénie la qualité d'ennemi à un
adversaire. Il en va de même pour une association d'individus fondée
sur des bases économiques , pour un trust industriel ou pour un
syndicat, par exemple. Une classe au sens marxiste du terme cesse,
elle aussi, d'être une réalité purement économique et devient un
facteur politique quand elle atteint ce point décisif, c'est-à-dire
quand elle prend la lutte des classes au pied de la lettre en
traitant l'ennemi de classe en ennemi véritable et en le combattant
soit par une lutte d'État contre État, soit par une guerre civile à
l'intérieur d'un État. Dans ce cas, et par une conséquence
inévitable, la lutte effective ne se déroule plus selon des lois
économiques, elle a au contraire, outre les méthodes de combat au
sens très strictement technique du terme, ses nécessités et ses
orientations politiques, ses coalitions, ses compromis, etc. Que le
prolétariat s'empare du pouvoir politique à l'intérieur d'un État
et c'est la naissance d'un État prolétarien qui ne le cède en
rien, en ce qui regarde sa nature politique, à un État-nation, à
un État de prêtres, de marchands ou de soldats, à un État de fonctionnaires
ou à tout autre type d'unité politique. Si d'aventure, prenant
modèle sur l'opposition du prolétaire et du bourgeois, on réussit
à regrouper l'humanité tout entière, selon le schéma ami-ennemis,
en États prolétariens et en États capitalistes, si alors toutes
les autres configurations opposant amis et ennemis sont absorbées
par celle-ci, ce processus aura rendue manifeste la pleine réalité
du caractère politique qu'ont pris ces concepts d'apparence purement
économique au départ. Si, au sein d'un peuple, le potentiel
politique d'une classe ou de quelque autre groupe se borne à
empêcher de mener toute guerre à l'extérieur, sans qu'il y ait
dans ces groupes la capacité ou la volonté de prendre en main le
pouvoir de l'État, d'opérer de leur propre initiative la
discrimination de l'ami et de l'ennemi et de faire la guerre si
nécessaire, l'unité politique est détruite. »
Carl Schmitt, der Begriff
des politischen (la notion de politique), IV, §1.
Citez Schmitt est une preuve de ta grande ouverture d'esprit non marqué par la doxa.
RépondreSupprimerJ'approuve vivement.
On est tous plus ou moins marqués par la doxa. Elle nous traverse malgré nous et n'épargne personne, pas même ceux qui se disent libre d'esprit. Toute la différence réside dans notre degré d'activité au milieu de ce bazar.
SupprimerEnfin, en ce qui concerne la pensée de Schmitt, c'est à mes yeux une des plus grandes pensées politiques de notre temps. Son œuvre, d'une actualité époustouflante, est pourtant souvent sous-estimée pour des raisons idéologiques absurdes.
Je dois de l'avoir rencontré à Céline Jouin, maitre de conférence à l'université de Caen Basse-Normandie, qui a fait sa thèse sur Schmitt et dont les cours sur le concept de guerre ainsi que sur les droits de l'homme resteront un moment décisif de mon parcours universitaire.
Je suis absolument d'accord avec toi sur Schmitt.
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