dimanche 27 octobre 2013

Puissance démobilisatrice de la philosophie




C'est lors d'une séance de flâneries parisiennes que l'on a découvert avec émerveillement le dernier-né de Rosset : Faits divers, un recueil de textes de notre néo-mexicain favori, sélectionnés et rassemblés par Nicolas Delon et Santiago Espinosa, deux des disciples les plus fanatiques de l'auteur de La Force majeure. Si l'on a pas encore fini de déguster tous les textes qui composent le livre, on a tout de même déjà récolté une pépite.

Démobiliser est un texte initialement publié en 1978 dans la revue Critique (n°369). Rosset s'intéresse d'abord à là tendance contemporaine qui consiste à demander à la philosophie de répondre à des questions qui, si elles ont incontestablement une légitimité propre, ne sont pas des questions auxquelles la philosophie est en mesure de répondre, tout simplement parce que la philosophie n'a généralement pas pour vocation de répondre à des questions qui ne dépendent que des aléas du moment. Les questions que se pose la philosophie sont des questions sans lien direct avec l'actualité. Et c'est pourquoi elle est aussi une discipline sans conséquence véritablement importante sur le réel. Constat passablement scandaleux à l'heure où l'on demande de plus en plus à la philosophie de répondre aux préoccupations les plus diverses et de donner des raisons d'agir.

Mais est-ce a dire que la philosophie est une discipline absolument vaine et définitivement vouée à la stérilité ? Pas nécessairement, car cette manière que la démarche philosophique a de mettre à distance les préoccupations immédiates peut produire une forme singulière de libération. L'individu (préalablement disposé à entendre ce que la philosophie a à dire) qui s'engage dans la démarche philosophique se met à distance de ce qu'il prend pour lui-même et de ce qu'il a coutume de prendre pour autrui. Il se dépolarise des souci tenace, des croyances excessives, de toute dévotion fanatique à l'égard de causes diverses et variées. Pour qui est disposé à l'envisager pour ce qu'elle est vraiment, la philosophie devient un art du pas de coté. En dissipant quelque peu ce qu'on interpose couramment entre nous et le réel, elle trace une voie royale pour l'entrevoir sans trop d'angoisse. Ajoutons que cette libération, si elle est loin d'être révolutionnaire, n'est pas non plus sans conséquence sur le cours des choses.

Le délicieux scepticisme de Rosset le pousse donc à envisager la démarche philosophique non pas comme la recherche infinie de causes à soutenir et à défendre, mais plutôt comme une démobilisation progressive, comme une prise de distance plus ou moins durable d'avec un réel qui n'en est pas un. On ne peut s'empêcher de noter ici une parenté de la démobilisation rossétienne avec la sortie du vouloir-vivre dont parle par ailleurs Schopenhauer. Néanmoins, on doit remarquer avec Spinoza que "cela doit être ardu qui est trouvé si rarement". Comme tout ce qui est beau, la démobilisation est difficile autant que rare.

2 commentaires:

  1. Ça a l'air fort intéressant en tout cas.

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  2. C'est excellent, car chaque texte est à la fois bref, joyeux et limpide. Ça se lit très bien, y compris (et surtout ?) si on ne fait pas partie de la corporation des philosophes.

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