« Si
l'incertitude est cruelle, c'est que le besoin de certitude est
pressant et apparemment indéracinable chez la plupart des hommes. On
touche ici à un point assez mystérieux et en tout cas non encore
élucidé de la nature humaine : l'intolérance à l'incertitude,
intolérance telle qu'elle entraîne beaucoup d'hommes à souffrir
les pires et les plus réels des maux en échange de l'espoir, si
vague soit-il d'un rien de certitude. Ainsi le martyr, incapable
qu'il est d'établir et même seulement de définir la vérité dont
il se prétend certain, se résout-il à en témoigner, comme
l'indique l'étymologie du mot martyr, par l'exhibition de sa
souffrance : « je souffre, donc j'ai raison », – comme
si l'épreuve de la souffrance suffisait à valider la pensée, ou
plutôt l'absence de pensée, au nom de laquelle le martyr-témoin se
dit prêt à souffrir et mourir. Cette confusion de la cause à
laquelle il se sacrifie explique incidemment le caractère toujours
insatiable de l'amateur de souffrance (alors qu'il arrive à
l'amateur de plaisir d'être comblé) : aucune cause n'étant
véritablement en vue, aucune souffrance ne réussira vraiment à
l'établir , si fort et si longtemps que l'on vous frappe. D'où la
surenchère au supplice, qu'évoquent de manière drolatique A.
Aymard et J. Auboyer : « Il y a une psychologie du martyre et
elle est éternelle. (…) Aussi y eut-il même des volontaires du
martyre, comme ces chrétiens d'Asie qui, sous Commode, se
présentèrent si nombreux au proconsul que celui-ci, après avoir
prononcé quelques condamnations, le refoula en les invitant à
recourir aux cordes et aux précipices ». On ne peut que louer
le libéralisme de ce proconsul qui, dans l'incapacité où il se
trouve de satisfaire tout le monde, consent toutefois, par charité
et dans la mesure de ses moyens, à supplicier au moins quelques-uns
des suppliants. »
Clément
Rosset, Le principe de cruauté
(p. 44-45)
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